Chronique Kinks : ...une Chronique de Revolver des Beatles par Ray Davies ! ( 1966 )

Publié le par Dimitri Dequidt

Parfois les rivaux sont plus proches de vous dans la vie que les amis

Ray Davies.


Juillet 1966, Sunny Afternoon fait tomber Paperback Writer du haut du hit parade en une seule semaine. « L’une des joies de ma vie », en dira plus tard son compositeur. C’est le moment choisi par Disc and music Echo magazine pour l’inviter à chroniquer le dernier crû Beatles, à savoir Revolver.

A raison de trois ou quatre écoutes de chaque chanson de ce nouvel album des Beatles, le compositeur des Kinks dresse son verdict. Un verdict si cruel ( si honnête, finalement ) qu’aux yeux des fanatiques des Fab Four qui viendraient ici, la copie qu’il a rendue ressemblera à un blasphème ; il leur faudra recadrer la chose dans son époque pour la lire sans amertume. Une époque où, pour l’une des rares fois de leur carrière, les Kinks de Ray Davies sont en pleine rivalité avec les Beatles, et dans le seul champ de rivalité qui compte ( les charts…), c’est à dire l’une des rares fois de leur carrière où ils peuvent se permettre sans contestation le luxe de critiquer ouvertement les Beatles et en toute légitimité. Et puis, hé, Ray Davies n’a pas poussé le vice jusqu’à noter chaque chanson, ni même l’album ! ( Quoi ?…vous ne voyez pas où je veux en venir ?…).

Pour rééquilibrer la balance, on peut d’ailleurs mettre au crédit des Beatles de petites piques savoureusement égocentriques à l’encontre du leader des Kinks. Un John Lennon murmurant par exemple à Ray Davies derrière le rideau, juste avant un concert, tout en tripotant nonchalamment sa guitare, qu’ils ne sont là que pour distraire le public avant que les véritables choses ne commencent ; ou encore un McCartney se sentant attaqué dans son statut de star absolue et lâchant dans une pointe de jalousie au même Ray : « j’imagine que tu es la star ? » ( et Ray opinant, selon toute opportunité ! ). Des piques de bonne guerre et bénignes, si l’on songe aux millions de rumeurs dégoulinant dans les coulisses du showbiz. Des piques symptomatiques tout de même.

Car s’il est une autre chose de véridique, c’est l’admiration non feinte de John Lennon pour le génie Daviesien. Lequel Lennon raffolera à sa juste valeur de Wonderboy en 1967, et citera en outre le mot Village Green dans sa chanson You Are Here *. Malheureusement, l’avis de Ray Davies sur Lennon, du moins tel qu’exprimé en 1988 dans un commentaire parlant de ses rivaux musicaux, n’est pas franchement élogieux : « Paul Mc Cartney était l’une des personnes les plus compétitives que j’ai jamais rencontrées. Lennon ne l’était pas : il pensait juste que tous les autres étaient de la merde ». Dans ce commentaire, il s’était exprimé au sujet de Townshend, l’un des plus célèbres admirateurs des Kinks, en les mêmes termes : très compétitif. Et c’est moins connu du leader des Kinks, que l’on se figure timoré, pudique ou indifférent à des signes extérieurs de reconnaissance, mais la gagne le stimulait depuis toujours, et quand il dit que le succès aux Charts de Sunny Afternoon était l’une des joies de sa vie, on peut le croire sur parole.

Sans doute les rivaux sont-ils parfois plus proches de vous que les amis…

* Sans que je sache pour ma part s’il s’agit d’un clin d’œil appuyé à l’album éponyme ou l’emploi d’une expression souvent présente dans la chanson ( Billy Joel dans son Scenes From An Italian Restaurant dit bien : do you remember those days hanging out in the Village Green ? sans qu’il y ait de référence explicite pour autant au Village Green rempli de chats volants, de buveurs de bières et de Daisy sous un chêne ).


L’album chanson par chanson tel que commenté par Ray ( traduit )

01) Taxman


Ça ressemble à un croisement entre les Who et Batman. C’est un peu limité, mais les Beatles surmontent ça par un double-tracking sexy. C’est étonnant à quel point le double-tracking rend une voix sexy.


02) Eleanor Rigby



J’ai acheté un disque de Hayden l’autre jour et ça sonne exactement comme ça. C’est une sorte de vieux quartet et ça sonne comme s’ils étaient mis en tête de faire plaisir à leur prof de musique de l’école primaire. Je peux imaginer John dire : je vais écrire ça pour mon ancienne maîtresse d’école. C’est quand même très commercial.

NDDD : ne pas se laisser endormir par le commentaire de Ray : cette chanson est évidemment une composition de McCartney ; non de Lennon.


03) I’m Only Sleeping



C’est une chanson extrêmement belle , bien plus jolie qu’Eleanor Rigby. Une joyeuse vieille chose, vraiment, et définitivement la meilleure piste de l’album.

NDMP : autant dire que Ray se lance une fleur en consacrant cette composition de John comme étant la meilleure de l’album, puisqu’aucune autre sur l’album, ni peut-être dans la carrière d’aucun Beatles, ne revendique dans son identité sonore une influence aussi forte des Kinks.

04) Love You To

George a écrite celle-ci – il doit avoir une influence suffisamment importante sur le groupe maintenant. C’est le genre de chanson que je faisais il y a deux ans – maintenant je fais ce que les Beatles faisaient il y a deux ans. Ce n’est pas une mauvaise chanson – c’est bien interprété, ce qui est toujours vrai d’un morceau des Beatles.

NDMP : « le genre de chanson que [Ray] faisait il y a deux ans »: avec See My Friend, single sorti en 1965, les Kinks avaient anticipé l’attrait pour la musique indienne tel que revendiqué par George Harrison ou encore les Rolling Stones de Paint it Black, avant de s’en remettre à une musique antérieure à la pop moderne, incorporant des éléments de jazz et de music hall.

05) Here There And Everywhere


Celle-ci prouve que les Beatles ont de bonnes mémoires, car beaucoup d’accords sont employés dedans. C’est agréable – comme un seul instrument avec la voix et la guitare fusionnant ensemble. Le troisième meilleur morceau de l’album.

06) Yellow Submarine


C’est n’importe quoi, vraiment. Je me change les idées au piano et je joue des trucs comme ça. Je pense qu’ils savent que ce n’est pas si bon.

07) She Said She Said


Cette chanson est dedans pour faire renaître l’ancien son des Beatles. C’est tout.

08) Good Day Sunshine


Celle-ci sera une géante. Elle ne se force pas en vous, mais elle se distingue d’elle même comme I’m Only Sleeping. C’est un retour aux bons vieux Beatles. Je n’aime simplement pas les trucs électroniques. Les Beatles étaient supposés être comme le garçon de la porte d’à côté, juste en mieux.

09) And Your Bird Can Sing


Je n’aime pas celle là. La chanson est trop prévisible. Ce n’est pas une chanson Beatles du tout.

10) For No One

NC.

NDMP : Omission du journaliste dans son papier ou de Ray dans sa chronique, le commentaire de cette chanson manque à l’appel.

11) Doctor Robert


C’est bien – il y a un rythme à 12 mesures et des passages dedans qui sont intelligents. Pas mon genre de choses, cependant.

12) I Want To Tell You


Celle-ci participe de la continuité de l’album bien qu’elle ne soit pas à la hauteur de l’estampille Beatles.

13) Got To Get You Into My Life


Retour au jazz – et cela vient juste prouver que les musiciens de jazz britannique ne savent pas swinguer. Paul chante mieux du Jazz que les musiciens n’en jouent ce qui rend absurdes les gens disant que le jazz et la pop sont très différents. Paul sonne comme Little Richard. Vraiment, c’est le morceau des Beatles le plus vintage du disque.

14) Tomorrow Never Knows


Ecoutez tous ces sons dingues ! Celle-ci sera populaire en discothèques. Je peux m’imaginer George Martin attaché à un totem quand ils l’ont faite.


Appréciation de l’album :

C’est le premier disque des Beatles que j’ai vraiment écouté dans son entièreté mais je dois dire qu’il y a de meilleures chansons sur Rubber Soul. Toutefois, I’m Only Sleeping c’est autre chose ! Good Day Sunshine est la deuxième meilleure et j’aime aussi Here There And Everywhere. Mais je ne veux pas être sévère au sujet des autres. La balance et la technique d’enregistrement sont aussi bons que jamais.
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M
Je suis d'accord avec SaulGoodman.<br /> Je m'attendais à bien pire.<br /> Il aurait pu être beaucoup plus dur avec Got TO Get Into My Life, qui a perdu beaucoup de ses couleurs depuis 1966.<br /> Cela dit, il y a eu dans les années 60 d'excellents musiciens de jazz anglais, Miles Davis a joué avec Victor Feldman, Dave Holland ou John Mc Laughlin.<br /> John Surman, Gordon Beck n'étaient pas plus mauvais que 99,9% des musiciens pop.<br /> Donc la remarque de R.D., trop générale, est injuste.
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S
En tant que fan des Beatles, je ne trouve pas sa critique de Revolver si méchante et cinglante que ça.
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V
C'est passionnant de connaître l'opinion de ses acteurs de la scène anglaise à l'époque. Oui on se doute que par soucis professionel ils se devaient de se tenir au courant de ce qui se faisait chez leurs rivaux amis ou ennemis, ainsi qu'à l'internationnal car les choses bougeaient très très vite, mais jamais on ne sait vraiment ce qu'ils pensent de telle ou telle chanson ou de tel ou tel album ! Et pourtant c'est vraiment passionnant ! Ne serait-ce pour mieux se placer dans le contexte de l'époque ou pour savoir si telle ou telle caractéristique d'un album (écriture, production, son, etc.) ait été conditionnée par l'opinion sur tel ou tel disque sorti juste avant...
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W
<br /> Sur Here There and Everywhere, Davies dit plus précisément "a lot of busy chords" (busy chords=accords à quatre notes ou plus, plus jazz que pop). Ce qui veut dire qu'il apprécie la richesse<br /> harmonique de la chanson - mais surtout la mémoire nécessaire pour retenir tous les accords du début à la fin, c'est une vanne quoi.<br /> Revolver est une vache sacrée (bon, pas encore à l'époque de la parution de cet article), mais s'il y a un seul mec en Angleterre qui peut se permettre de le critiquer, c'est bien Ray Davies.<br /> <br /> <br />
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